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les histoires de géraldine
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11 février 2006

1997 ...suite

vous pourrez retrouver le début de ce long récit sur le message posté le 29/05/2005  : "écrire pour témoigner"

Cependant, les réactions vives que m'ont inspirées ces événements familiaux, qui pourtant ne me touchent pas directement, me reviennent en écho, par la suite,  avec une ampleur insoupçonnée.

Alors, explorant ma propre conscience, parmi toutes les questions (et elles sont fort nombreuses !!),  celle de mes relations personnelles avec mes proches parents se détache et me taraude .
L'image de ma propre famille m'apparaît, dans sa triste vérité, et je pose un regard nouveau sur mon histoire...

J'ai quitté mes parents vers l'âge de dix-sept ans, pour entrer en internat dans un lycée professionnel. Je ne supportais plus la vue de ma mère, brisée par une vie trop difficile : elle faisait des ménages et quelques menus travaux à domicile pour tenter de nous offrir une existence décente, mes sœurs et moi. Mon père était alcoolique et n'avait jamais su ou pu frapper à la bonne porte pour s'en sortir ! Ou pas voulu !
C'est du moins ce que je pensais, dans l’enfance, lorsque je l'entendais rentrer de ses tournées nocturnes, bousculant tout sur son passage dans la maison.Tout ce vacarme terminé , il s’effondrait sur son lit et, après quelques borborygmes et bribes de phrases inaudibles lancées à la volée,  s'endormait pour un sommeil interminable… plusieurs jours s'écoulaient ensuite, sans que nous ne le rencontrions vraiment. Il dormait quand nous étions éveillés, et s'éveillait quand nous devions nous coucher. Il était embauché, pourtant, chez un artisan maçon, mais j'ignorais tout de son métier. La seule chose que je savais, que je voyais, c'est que ma mère souffrait en silence mais qu'elle n'était pas maltraitée, je veux dire pas dans son corps ; elle n'était pas brûtalisée par mon père.
Les voisins, les amis, les membres de la famille n'avaient jamais de propos malveillants à l'égard du « Miguel ». On le prenait tel qu'il était ; quand il allait bien, il partageait les réunions de famille, répondait aux invitations et savait alors doser sa consommation pour donner une image de lui aussi satisfaisante que possible, jusqu'à l'heure de prendre congé. Puis, il finissait seul la journée en compagnie d'une bouteille ou deux, ou plus...
Quand il était « parti », comme nous le disions familièrement, il se passait parfois des semaines sans que notre sort ou la vie de la maison ne lui inspirât le moindre état d'âme. Il était dans son monde, entre deux verres, ou à la limite de l'ivresse ou pire, égaré.

Au cours de ses moments de répis, de lucidité, il savait se montrer parfois affectueux, drôle aussi, presque normal.

Je me souviens parfaitement avec quelle violence je refusai cet état de fait lorsque, mes quatorze ans approchant, je dus le relever du trottoir pour l'aider à franchir le seuil de la maison, un soir de goguette. Je dus le traîner, au vu et au su de tout ceux du quartier qui goûtaient alors la tiédeur de cette fin de journée d'été, aux fenêtres et sur les balcons, ou encore à l'ombre des arbres jalonnant notre avenue. Tous me souriaient gentiment, un peu gênés peut-être, sûrement pas autant que moi ! Je haïssais le monde.
Le rouge me monte encore aux joues, au souvenir de ces mauvais jours-là.
Je n'ai jamais su quels mots employer pour parler de mon père. Je trouvais, lorsque j'étais encore dans l'âge ingrat de l'adolescence, bien trop généreux tous ceux qui, sans le blamer, se contentaient de dire qu'il était malheureux et malade.
Je lui en voulais, moi, mais sans savoir de quoi au juste. Pas de son manque d'affection ou de présence, je n'en attendais pas de lui. Je prenais, comme mes sœurs, ce qu'il voulait bien nous donner , ses marques de tendresse ou d'attachement, sans même savoir si elles en étaient réellement. A mes yeux, seule ma mère était vraiment dispensatrice  de calins, de soins, d'attention. Je lui rendais cette affection, du mieux possible.
Mon père a quitté ce monde, un après-midi d'hiver. Il avait tressé avec soin un lien fait de fils électriques, qu'il avait passé autour de son cou avant de se laisser partir dans le vide…ma mère l'a trouvé pendu dans le grenier au retour du travail. Cela faisait seulement quelques mois que j'étais entré dans ce « bahut énorme » dont plusieurs sections servaient à former de futurs cuisiniers, serveurs, maîtres d'hôtel, receptionnistes..tout un monde d'indifférence et d'anonymat !
La mort de mon père n'y souleva aucune question, pas le moindre commentaire, pas l'ombre d'une émotion.
Il fut enterré sans prêtre, sans discours, sans éloge, sans reproches, tout juste quelques fleurs et quelques larmes. Sa disparition, nous l'avions attendue je crois, notre mère et nous les enfants, comme un soulagement et une délivrance, pour lui mais pour nous aussi, sans oser jamais l'avouer. Un lourd silence était retombé comme une chappe sur sa tombe, mais sa façon de nous quitter nous avait cependant tous ébranlés quelque peu.
Nous évoquions un geste de folie dans sa détresse, et nous nous etonnions de sa détermination, de son courage, malgré tout. On se satisfaisait d'un mot : « On ne sait pas ce qui se passe dans la tête de ces gens-là », afin de balayer les doutes et les questions.

Ces gens-là, les alcooliques !
Gens méprisables, d'un autre monde, d'une autre planète : j'avais toujours plus ou moins envisagé la chose ainsi, quand j'étais enfant.
Ce n'est ni l'école primaire ni le collège qui m'auraient dissuadé d'appréhender de cette manière la maladie
de mon père. On m'y avait toujours appelé avec dédain par mon nom de famille qui sonnait mal, jamais respectueusement par mon prénom qui sonnait bien, lui. C'était comme si j'étais inéluctablement un sous-produit de la nature humaine, avec un père émigré « qui buvait » et une mère « un peu simple ». C'est ainsi que l'on dépeignait élégamment ces gens de modestes conditions intellectuelles. Pour résumer, j'étais un cas social. Et je le savais…
C'est pourquoi, dès le plus jeune âge, je me suis rangé du côté des rebelles au système, sans aucune protestation, en silence et à ma manière. Je ne produisais pas grand'chose, aux dires de mes professeurs, qui n'en attendaient pas plus, voire moins, d'un élève de mon espèce. Je ne les dérangeais pas non plus. J'attendais le feu vert pour m'enfuir de leurs murs qui sentaient déjà fort l'exclusion. Lorsque je dus boucler mes valises et quitter le lycée professionnel, après le décès de mon père, je savais que je n'avais rien investi de ma scolarité ; ma mère, démunie, n'était ni assez riche, ni assez pauvre pour pouvoir continuer à payer mon internat, n'ayant su obtenir aucune aide extérieure. Aussi, je fus happé par un groupe dont je tairai le nom, friand de jeunes comme moi, sans famille solide, sans ressources ou presque, sans attache et corvéables à merci, rêvant d'ascension professionnelle pour pouvoir s'offrir les voyages et la découverte du monde.

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