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les histoires de géraldine
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16 février 2006

janvier 1999

vous pourrez retrouver le début de ce long récit sur le message posté le 29/05/2005  : "écrire pour témoigner"

JANVIER 1999

Je poursuis à grand peine mon parcours, aux prises avec la menace de l'anéantissement total. Je me raccroche de toutes mes forces à des images sublimes, perçant au travers des brumes qui envahissent presque continuellement mon esprit. Ces images puisent leurs sources dans les paroles lénifiantes de Nad et la fidélité dont elle m'assure. Je ne les mérite peut-être pas. Elle m'accorde un regard trop généreux, sa tendresse m'embarrasse, autant que sa conviction quand elle prétend attendre avec confiance de me revoir, et qu'elle dresse alors mon portrait sortant grandi de cette redoutable expérience,cette quête intérieure !
Ce n'est pas une quête, Nad, c'est une guerre ! Combien de fois ai-je prononcé cette phrase, isolé, enfermé dans le secret de ma désespérance: « tu ne comprends pas, Nad, tu ne peux pas comprendre, toi ! »
Pauvre Nad, elle ne voit pas quel recul j'ai fait.
Je sais que je ne dois pas la décevoir, que je n'en ai pas le droit, mais je n'en peux plus.

Dès lors, je m'enfonce un peu plus chaque jour dans ce gouffre qui m'attire, et m'appelle, et m'aspire, sans me laisser aucune chance désormais de trouver une branche ou une racine à laquelle accrocher ma survie, mon sauvetage. Je suis seul, ici, et le vertige me prend désormais à chaque instant, à chaque pas.
Je ne peux pas lui confier quel trouble, quel accablement accompagnent chacun de ses courriers, chacun de ses appels. Ce sont des bouées lancées à mon secours, certes, mais dans un océan de tortures. Chacun de ses mots me confronte à ma
déchéance et m'invite à sombrer davantage, la honte pesant de tout son poids à l'idée qu'elle puisse me voir, tombé si bas !

Comment peut-elle encore m'estimer, elle, quand je me fais horreur ?
A quoi bon survivre, si c'est pour souffrir encore davantage ?
Je traîne ma piteuse carcasse entre mon lieu de travail et le radeau qu'est devenu mon appartement.
J'y vis plus mal qu'un Robinson Crusoé, une mer opaque me séparant du reste de l'humanité. J'y passe des heures vides, moi, sur mon île, à attendre je ne sais quel paquebot, sans bouger ….
Et j'entends ce fou-rire de Nad, un matin de novembre, sur le seuil de ma porte.
Et  j'entends ce fou-rire, et j'entends ce fou-rire…
J'entends ce fou-rire et je sens encore ce malaise qui m'avait envahi, comme un enfant pris en flagrant délit de bêtise, de mensonge.
Ce matin là, je n'avais pas eu le choix, je n'avais pas eu le temps de composer, de calculer, de tricher. Nad avait joué la carte de la surprise, je n'avais pas eu d' arme contre cette spontanéité.
Depuis lors, j'ai réalisé que Nad n'avait pas eu la moindre réaction, le moindre froncement de sourcil, le moindre trouble devant ma dégaine, et le désordre autour de moi qui en disait long . Ce matin là, seulement ce rire !
C'est aussi pourquoi mon dégoût est si intense, ma peine est si profonde aujourd'hui. Nad savait donc, et depuis longtemps, peut-être depuis toujours, comment je tenais le coup.
Tenir le coup, y a t-il rien de plus faux que cette affirmation?
Elle ne m'a pas rejeté, pourquoi ne m'abandonne-t-elle pas, je ne suis qu' un raté, un paumé ?
Ce fou-rire perce mes tympans, résonne dans mon pauvre crâne, me rend fou de honte et de désolation.

Combien de fois Nad m'avait-elle parlé de celles et ceux qu'elle côtoyait, victimes de leurs dépendances, qui de l'alcool, qui de la drogue ?
Je ne savais plus ! Mais jamais elle ne m'avait attaqué de front sur ce sujet. Il faut dire que je lui avais toujours, jusqu'à ce matin fatal, donné une image plutôt respectable de ma chère personne, coupant cours à toute possibilité de discussion sur un terrain miné …

Depuis ce matin-là, je me perds en conjectures.
Depuis quand savait-elle ? Quand et comment avait-elle découvert l'autre face, celle que je croyais n'avoir jamais dévoilée, surtout pas, surtout pas à Nad.
Elle savait tout de ma vie, de mon passé, de mes amours, de mon chagrin; mais pas cela ! Je le lui avais caché (ou tenté de le faire).
Enfin !..comment ai-je pu être assez stupide pour croire au subterfuge, et à sa naïveté ?
Quelle était donc sa motivation à elle, quel sentiment l'animait réellement, qu'ai-je imaginé, quel est la part de vrai, quel est la part d'égarement, je ne sais plus où j'en suis, tout est trop embrouillé dans mon esprit, tout me fatigue trop, tout me plonge un peu plus dans le doute et la peur de la réalité. Il faut que je revienne en arrière, que je me souvienne, que je me rappelle les événements…
C'est à moi que j'ai toujours menti, mes ruses ne trompaient que moi-même.
Au fond, je le sais bien.
Je me ronge, je me détruis aujourd'hui, en revisitant les souvenirs de toutes mes échappatoires, de tous mes faux-fuyants.
Je m'abime, mais ne perds pas de vue ces paroles:    "j'ai la chance d'avoir encore des ressources mentales et intellectuelles" prononcées par Nad, pour m'expliquer sa force de lutter, sa volonté de vaincre, dans les combats qu'elle a livrés.
Je sais qu'il me reste encore un peu de ces forces-là, et que je dois les conserver coûte que coûte, si je ne veux pas me faire balayer, comme un déchet de la société.
Je marche sur un fil, triste funambule. Ma vie ne tient plus qu'à …moi, et je me fais horreur.

Je vis depuis longtemps dans un milieu pourri, je côtoie toutes sortes d'individus dans ces palaces où l'Histoire s'écrit pourtant, parfois. A quoi tient l'Histoire ?
J'y rencontre de modestes piliers de bar, des citoyens honnêtes, mais aussi des avocats véreux, des médecins indélicats, des hommes d'affaires sans scrupules pour certains, des femmes sans vertu, des hommes politiques dont la cote de popularité souffrirait fort de quelque indiscrétion.

Aussi, il n'est pas rare qu'une petite liasse passe de main en main, discrètement, avec des regards entendus.

Notre silence, gens de la branche, à ce niveau là est indispensable et il vaut cher, très cher.
Il se négocie à n'importe quel prix, quelquefois ; et, ma peau, que vaut-elle, et ma dignité…? Ai-je toujours le choix ?
A quoi me servent ces petites « gratifications », si ce n’est à me corrompre et à pourrir un peu plus ma vie ?
Je suis devenu un autre moi-même, dont je ne me glorifie pas, dont j'ai le dégoût.
Je croyais tout acheter, tout refaire, et prendre ma revanche.
Quelle revanche, en effet !

« Je suis né dans le ruisseau… », la faute à qui ? le méritai-je ?

J'y  retourne, lentement, au ruisseau, et même en dessous…. Et je perds tout, même l’espoir, triste prince déchu.

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