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les histoires de géraldine
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15 février 2006

fin d'année 1998...

vous pourrez retrouver le début de ce long récit sur le message posté le 29/05/2005  : "écrire pour témoigner"

C'est au cours de l'un de ces voyages au pays de la mémoire que je vois mon père, enfant perdu, au milieu d'une foule de personnages aux yeux rougis et aux voix muettes. Tous ces gens, pétrifiés, sont compressés, impassibles, on dirait des figurines rangées dans un emballage trop étroit. Ces filles et fils de la liberté sont regroupés dans le sud de la France, avant d'être répartis sur le territoire pour échapper à la bêtise, à la folie humaine, en principe…
C'est à partir de là, cet exil, ces grillages, ces barraques, que s'est construite la vie du Miguel en France, et dont il a si peu parlé, si peu parlé !
Chaque fois qu'il le faisait, j'étais alors très jeune, une ombre ternissait son visage, et un voile de brouillard apparaissait dans ses yeux.
Je pensais, innocemment, que son alcoolisme en était la cause.
Je n'étais qu'un enfant et je ne comprenais guère ces choses-là. Nous autres, les enfants du Miguel, ne savions rien de son passé ou presque. Nous n'avions pas de grands-parents paternels, ils avaient été tués, disait-il,  et le Miguel s'était retrouvé seul. Il ajoutait, pour toute explication: "Ils avaient trop parlé, c'était des militants".
Lorsque j'avais montré de la curiosité encore, et l'envie d'en savoir plus, il m'avait répondu :  « tu es trop jeune, ces choses-là sont trop laides pour une petite tête comme la tienne ».
Lorsqu'il avait dû avoir le besoin et la force, plus tard, d'y  répondre et de me raconter sa vie, je crois que je ne l'aimais déjà plus assez bien, moi,  pour l'écouter, pour entendre. On ne m'avait pas appris à l'entendre.
Alors, dans ma tanière, aujourd'hui, je fais des voyages sombres.
Des voyages interminables pour m'approcher de lui, et réapprendre l'histoire.
Les hommes peuvent devenir des dictateurs, fous, et l'abomination qui prend naissance dans la tête d'un individu au plus fort de sa folie, pour peu qu'il ait le pouvoir, fait son œuvre….longtemps, longtemps.
Soyez remerciés , Messieurs les tyrans de tous poils et de tous lieux, et vous tous qui cautionnez, ou qui participez : Dieu est même à vos côtés, quelquefois!!  Vous faîtes bien d'en profiter ! (Il a bon dos, votre Dieu à vous).
Le Miguel est mort à petit feu, sans que rien ni personne ne le fasse échapper à son enfer, à ses voyages ténébreux, à ses souffrances. C’était une victime de l’histoire.
Dans ma tanière, j'aimerais pouvoir l'inviter, Miguel, maintenant. Peut-être écouterait-il mes doutes, comprendrait-il mes nuits d' égarements, mes frayeurs, mes angoisses, mes remords, à son tour.
Mais, sûrement il m'aurait mieux appris que tous les plus beaux romans, les plus parfaits récits historiques, son Espagne à lui…

Je traverse, ici et maintenant, une période éprouvante. Je suis dans l'incapacité totale de briser le carcan qui m'étouffe. Je me morfonds dans cette vie sans fondement, de laquelle j'ai maintenant supprimé le versant illusoire des expéditions nocturnes. Je n'y trouvais qu'un bonheur de pacotille.
L'ai-je décidé par prudence, raisonnablement,  ou par lassitude ou désoeuvrement, ou tout simplement par conscience de mon incapacité à affronter le monde extérieur après une heure fatidique de la journée, désormais ?
Je ne le sais pas vraiment, ou plutôt si, je le sais.

Car, pour autant que cette décision soit prise, je ne réussis pas à me préserver d'autres leurres plus pernicieux encore.
Je m'accroche pour lutter, désespérément, aux courriers de Nad.
Et, en attendant je ne sais quel hypothétique dénouement à mon désespoir, je noie mes peurs.
Chaque soir, je cherche la consolation dans cet enfermement ; j'aliène mon esprit en me persuadant que je lui donne ainsi des ailes, et que c'est le prix de mes souffrances.
Je bois et je fume régulièrement plus, chaque jour.
J'attends avec toujours plus d'impatience cette heure de délivrance, où, de retour à mon appartement je tourne la clé sur mes mystères. L'air devient de plus en plus irrespirable dans ce deux pièces-cuisine, au sens propre comme au sens figuré. J'y entre dans mes ténèbres.
Nad m'appelle, ou m'écrit, à intervalles réguliers. En dépit de ses efforts pour prononcer des paroles réconfortantes, sans rejet ni reproche, et malgré le ton faussement enjoué qu'elle emploie, je devine le degré de son inquiétude .
Je sais fort bien que mon triste état ne peut lui avoir échappé. Je me rassure à l'idée qu'elle ne me voit pas. Cependant, j'ignore à quel point je la fais souffrir d'être impuissante désormais, face à ce désastre. Nous sommes trop loin l'un de l'autre.
Je n'ai pas le courage de tenter quoi que ce soit pour essayer de la rencontrer.
Quant à elle, il lui est assurément impossible d'abandonner son poste, sur un navire qui prend l'eau. Je comprends qu'elle percevrait le moindre manquement à ses devoirs de mère ou d'épouse comme une faute, une lâcheté, ou quelque chose comme une désertion. Je suis convaincu cependant du désir qui la tenaille de venir me rejoindre. Je le sais, je le sens, mais je ne bouge pas !
De mon côté, à l'abri des regards, je continue mes divagations.
De son côté, en dépit de tous préjugés, elle s'obstine à me soutenir, à me raconter ce qui éclaire l'autre rive, me supplie de « changer de quai», de briser les chaînes, d'oublier les erreurs, les humiliations, d'évacuer les regrets, les remords.
Elle me montre la voie, elle me conjure de croire en moi, encore et encore.
Elle sait, intuitivement, où j'en suis du chemin, et aussi que je suis seul maintenant à pouvoir, à devoir avancer, faire un pas, faire le pas.
Chère Nad, je saurai longtemps gré à la vie de t'avoir épargné la vision de mon délabrement, à l'approche de cette fin d'année.
Il ne reste de moi qu'une pâle copie, une ombre de moi-même, si triste, si décharnée.

31 Décembre 1998

Le sort veut que nous ne puissions fêter le nouvel an 1999 ensemble.
Je dois assurer le service aujourd'hui, étant le dernier arrivé dans l'établissement. Je tiens à peine debout. Je ne rentrerai pas en Bretagne.

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