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les histoires de géraldine
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4 juillet 2005

été 1993 ...

L’annexe d' Ar Bod, ce petit bâtiment indépendant, était, à l’origine, d'un côté d'une cloison légère un simple débarras et de l'autre une chambrette d’été modestement aménagée . Cette partie dite habitable etait prolongée par un cellier dans lequel les récoltes du jardin et les conserves pour l'hiver étaient mises en réserve .
Pendant quelques mois, quand la saison le permettait, cette annexe accueillait des visiteurs, et plus particulièrement Pépère. Mais, bien vite, il a fallu penser à sa rénovation, son équipement était tellement sommaire et son confort si rudimentaire que des travaux s’imposaient !
Et puis Alanig et Loullig, les deux fils aînés , manifestent aujourd'hui un tel désir de se l’approprier que l’on profite de la période d’été pour se lancer dans les rénovations indispensables.
Chacun met la main à la pâte ! Il faut jouer les manoeuvres, et s'initier à percer le sol, poser des canalisations, il faut devenir menuisiers, électriciens, peintres… pendant quelques semaines.
Nad ne laisse pas sa place, le marteau à la main, quand ce n'est la scie ou la truelle, tout lui plaît et elle s’amuse de ce côté masculin de sa personnalité, le crayon sur l’oreille . Yann et les fistons se chargent des tâches les plus  rudes, cependant. Nad dessine des plans avec Loullig, fait les achats des matériaux avec Alanig, et donne avec bonheur un coup de main aux hommes. En trois semaines, l’  annexe  est devenue la garçonnière d'Alanig et Loullig.
C’est là que tous les deux apprendront doucement ce qu’est l’indépendance, celle dont tout enfant rêve et prépare au fil des jours. Bien sûr, ce n’est pas encore le vrai départ, mais c’est une passerelle...
Il leur faudra organiser leur espace, en devenir responsables, l’entretenir. Mais quel satisfaction et quelle fierté ils ont éprouvées en partant chez eux , la clé de leur petite demeure en poche, le soir de leur installation !

Chacun des garçons a un domaine réservé et tous deux se partagent un lieu de vie commun équipé pour  préparer  et prendre des repas, si le coeur leur en dit... 
Depuis lors, cette forme d'autogestion ne les a jamais empêchés de participer pleinement à l’aventure familiale, dans les bons comme les mauvais moments.
Nad et Yann ont estimé qu’ils  s’initieraient là, tous les deux, à ce que peut être la solidarité et aussi le droit de chacun à sa solitude,  à sa vie.
Qui n’a jamais rêvé d’un petit coin de retraite pour échapper aux pesanteurs du groupe, au foyer de tensions et de querelles que représente une petite famille parfois ?
Le quotidien n’est pas toujours facile!
Depuis cette installation, de l'eau est passée sous les ponts…

Aujourd’hui, à l’heure où j’écris cette chronique, des années après, qui sont ces jeunes hommes : parlons d’eux, voulez-vous ?

Alanig,
Aîné de la famille, il a longtemps été un enfant réservé, trop, peut-être, au goût de Nad. Elle le trouvait très secret, impénétrable quelquefois. Il n’était pas facile de trouver la clé pour entrer dans son monde.
Nad s’est inquiètée bien souvent pour lui. Si la période que l'on a coutume d'appeler la petite enfance ne lui avait jamais posé de gros problèmes, il n'en a pas été de même après sa sortie du collège. L'adolescence, et son entrée en lycée professionnel semblaient l’avoir déstabilisé. Du petit garçon sage,seulement un peu timide, il était devenu un jeune plutôt anxieux et sans assurance, et en rébellion à l'intérieur .
Se sentait-il dévalorisé, en échec? Son orientation ne lui plaisait pas, Nad en était de plus en plus consciente. Elle avait l’oeil souvent fixé sur lui. Elle a eu peur de ses fréquentations qui, parfois , ne lui semblaient pas des meilleures. Lorsqu’il a atteint l’âge des premières virées avec les copains, chacune d’entre elles était un moment d’angoisse pour Nad.
Il faut dire qu' Alanig semblait chercher du courage , alors,  dans la provocation. Son look devenait des plus extravagants, et sa petite bande n’inspirait pas trop confiance. Pourvu, pensait-elle,  qu’ils ne boivent pas trop d’alcool, qu’ils sachent s’amuser en bonne intelligence : Nad apprenait le métier de guide, de mère, et ses propres références d'adolescente ne pouvaient guère l'aider. Elle, elle avait tout misé sur sa scolarité à cette époque, comme par défi aux remontrances quasi perpétuelles de sa mère. Elle avait dû pourtant changer d'orientation, après un an d'internat en seconde, mais cela ne l'avait pas arrêtée dans sa route. De mémoire, elle avait mené ses études selon son désir, sa mère ne s'y investissant seulement que pour constater les résultats sur les carnets de notes et en faire les commentaires d’usage. C’est bien loin , tout cela !!!

Enfin, quelle que soit l'expérience de chacune, c’est difficile et inquiétant, sans aucun doute, de voir son premier enfant prendre des ailes. Nad sait qu'elle n'est pas la seule mère confrontée à cette inquiétude .
Au fil du temps, les copains d' Alanig sont venus fréquemment s'amuser, faire la fête, à l’ annexe.
Mais non, ils n’étaient pas des méchants ! Des cheveux longs, un peu de désordre au passage, beaucoup de musique, et de grosses rigolades résumaient leurs soirées, voire leurs nuits de délires .
Pendant quelques temps, Alanig s’est inventé un univers avec eux, jusqu’à ce qu’il abandonne le lycée, en terminale. Une soudaine passion pour le tourisme équestre l’a fait basculer dans le camp des adultes : Il a trouvé un emploi pour assurer sa formation et puis  s' est lancé dans l’aventure.
Aujourd'hui, quand Nad se souvient et me parle de toutes ces années de doute et de quête de soi, elle ne peut s’empêcher de se réjouir de voir Alanig tel qu’il est, désormais.
Il a vécu en silence tous les évènements heureux ou non qui ont marqué son enfance, puis son adolescence, et a affronté les deuils, les difficultés morales, sans broncher, peut-être aurait-il dû exprimer davantage ses révoltes ?
Alanig aime la nature, la vie simple, les relations humaines chaleureuses et sans protocole.
Alanig a aussi des dons pour le dessin, c’est un passionné.
Il a toujours été fortement impressionné par l’histoire des tribus indiennes et par la sagesse exprimée dans les récits des anciens, des chefs …
Nad rêve pour lui de grands espaces, de quelques années de baroud, et puis qu’il vive la vie comme il l’aime, sa vie.
Il est déjà ...sur sa route.

Loullig, est son deuxième garçon.

Quel personnage ! Tout petit, déjà, il avait un vrai tempérament. Il a traversé l’enfance et l’adolescence sans encombre. Bien sûr, quelques accrochages par-ci, par-là ; mais Nad n’a pas le souvenir d’une dispute avec lui qui ne se soit apaisée en moins d’une demi-heure.
Petit écolier, c'était le genre de gamin qui ne passait pas inaperçu, qui se trouvait souvent là où il ne fallait pas, qui cherchait à transgresser des règles, sans aucune intention mauvaise que celle de satisfaire sa curiosité et tester les limites du possible. Il répliquait ou se dissipait, mais on avait du mal à lui en vouloir, tant un côté naïf du comportement vous faisait craquer et oublier les velléités de remontrances ou de sanctions. Ce que l'on nomme un bon petit diable.

Il a parfois donné du fil à retordre à Nad, car ses collègues se faisaient un plaisir de l’interpeller sur les devoirs du fiston mal finis, les leçons trop vite apprises  ou son indiscipline pendant les heures de permanence, lorsqu’il était au collège. Evidemment, on ne se fait pas de cadeau, entre collègues.

C’est devenu un jeune homme optimiste, il réfléchit beaucoup, il mène sa vie à son idée. Très tôt il a fait le point avec son enfance, il a classé tout dans sa tête.Et c'est un garçon qui parle !

Nad a souvent eu des longues discussions avec lui. Pendant les années lycées, ils confrontaient leurs points de vue sur les sujets de philo, ils s’affrontaient, ils s’amusaient bien.
A cette époque, sa longue tignasse brune lui donnait une allure un peu marginale, mais être dans le moule, ce n’était pas son truc !
Et puis, il la maintenue toujours dans le coup, "la maman", comme il  le dit souvent. Elle écoute toujours avec lui les derniers groupes de musique, il lui raconte encore les blagues des copains.
Il l'a mise aux marmites parfois, quand une soirée Chili était programmée à l’annexe, avec sa petite équipe à lui.
Nad s’amuse de sa bonhommie.
Loullig vit bien, lui semble-t-il.
Il sait ce qu’il veut et va au bout de ses désirs. Il ne sera pas bureaucrate probablement, sa destinée semble tournée vers la nature. Loullig est un écolo, mais pas par mode.
Il réussit tout à fait bien les études qu’il a entreprises dans le domaine des eaux et forêts . Il travaille seul désormais , par correspondance, car l'école est trop éloignée, et même si parfois l’ambiance d’une classe lui manque un peu, il ne décroche pas.
C’est un débrouilllard, volontaire.
Nad est persuadée qu’il réussira sa vie parce qu’il ne renonce pas .

Pour achever le portrait des deux garçons, il faut ajouter la complicité qui les lie et espérer qu’elle durera par delà les années,  leurs routes devant se séparer un jour,  immanquablement.

Nad est heureuse, et fière de ses grands.
Il n'y a là ni orgueil ni auto-satisfaction de sa part, mais un énorme sentiment de confiance qui s’installe un peu plus chaque jour, elle a confiance en eux et en leur parcours. Elle sait que les liens se tissent et que l’ouvrage semble en bonne voie de solidité, même si parfois le fil est un peu tendu ! Rien de commun avec le mouchoir de poche dans lequel on voudrait enfermer des enfants dont on se croit propriétaire .

Non, la famille, me dit-elle toujours, ce doit être une peinture, une toile qui s’agrandit au fil des jours, sur laquelle chacun doit pouvoir planter un bout de décor à sa guise, comme une fresque qui s’enrichit de tous les voyages, de tous les rêves, de toutes les expériences, et où chacun apprend à respecter les choix, l'inspiration, les décisions, les départs, les absences, les retours de l’autre.
Un magnifique dessin collectif, modifiable à souhait, où il fait bon reconnaître, par-ci, par-là, le petit détail qui vous appartient, et puis toutes les nuances qui ont embelli vos propres couleurs, toutes les discordances aussi, tout ce qui fabrique les futurs souvenirs… voilà comment Nad la désire, sa famille: une peinture jamais achevée, avec un coin de toile blanche, toujours, toujours...libre pour demain, libre pour quelqu’un, et du soleil, de la lumière, de la couleur, des fenêtres ouvertes, et de la musique au coeur. 

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